La Croix : Le président de la Conférence des évêques de France (CEF) affirme que c’est par vous qu’il a appris les faits d’agression sur mineure reconnus dimanche par le cardinal Ricard. Pouvez-vous nous rappeler la chronologie des faits ?

Véronique Margron : En février 2022, la victime du cardinal Ricard apprend dans la presse que celui-ci est nommé pour gouverner temporairement les Foyers de charité, une communauté secouée en 2020 par des révélations d’abus commis par son cofondateur, le père Georges Finet. Indignée, elle prend contact avec moi et m’explique qu’il ne peut pas décemment exercer cette charge, puisqu’il l’a agressée lorsqu’elle avait elle-même 13 ans… J’ai immédiatement prévenu le président de la CEF. Ce dernier a tout de suite pris contact avec la victime d’abord, puis avec le cardinal Ricard, qui a renoncé à sa mission au sein des Foyers de charité. Tout cela n’a pris que dix jours.

Certains se demandent pourquoi ni vous ni Mgr Éric de Moulins-Beaufort n’avez signalé les faits à la justice dès que vous les avez appris…

V. M. : Nous ne l’avons pas fait car ce n’était pas la demande de la victime. Elle nous a vraiment remerciés que les choses soient allées si vite pour les Foyers de charité. Nous en sommes alors restés là. Puis reprenant contact au sujet d’un éventuel dépôt de plainte, elle m’a dit qu’elle s’était posé la question il y a déjà de nombreuses années et que – selon son analyse – les faits étaient prescrits. Lors d’autres conversations, plus tard, j’ai proposé que nous – l’Église – puissions faire un signalement. Il est en effet indispensable que nous trouvions une juste façon de faire.

Les personnes victimes ont été réduites à l’état d’objet et rendues passives par les agresseurs. Ce n’est pas pour que nous fassions pareil en faisant fi de la parole de la victime et de son consentement pour nos propres actions. Il est essentiel que la personne victime demeure bien actrice, y compris sans porter plainte elle-même. C’est donc après son accord qu’Éric de Moulins-Beaufort allait faire un signalement au procureur de la République. Il se trouve alors que celui-ci avait déjà été effectué le 24 octobre par Mgr Jean-Philippe Nault, évêque de Nice (1).

Avant de se confier à vous, la personne victime avait-elle déjà parlé de ces faits à d’autres religieux ou clercs ?

V. M. : Oui, cette dame avait écrit au pape deux fois : la première fois il y a environ cinq ans, puis, n’ayant aucune réponse, une deuxième fois en mai-juin dernier via le nonce apostolique. Le nonce a accusé réception de son courrier en octobre. Elle a par ailleurs, heureusement, parlé à ses proches et à des amis, dont certains sont prêtres.

Les fidèles ont le sentiment d’avoir été tenus dans l’ignorance d’actes graves commis par des responsables de premier plan. Quel est votre avis sur la publication des sanctions canoniques ou la révélation des faits ?

V. M. : C’est une question difficile. On sait que la publication des mesures ou sanctions canoniques – et même des faits s’il y a une assurance suffisante de leur véracité – peut permettre à de nouvelles victimes d’oser parler. Je suis donc convaincue qu’il faut une publication. Mais laquelle ? Elle doit se faire impérativement dans le cadre du respect du droit, celui des victimes et du mis en cause. Il y a le cercle des victimes et des personnes institutionnellement concernées : les religieux du même institut, les prêtres et laïcs en responsabilité d’un diocèse.

Là, il me paraît clair que la publication des mesures doit être rapide. Mais après ? Faut-il publier les sanctions et leurs motifs sur le site du diocèse ? de la congrégation religieuse ? Ailleurs ? Faire des communiqués ? Toutes ces questions devant être tranchées une fois encore dans le respect de notre droit commun et du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Enfin il ne faut pas faire cela en amateurs. Il nous faut travailler en continu avec des magistrats, des psychiatres… Tout cela n’est là, une fois de plus, que pour servir le soutien de victimes éventuelles et la recherche de la vérité. Celle qui fait déjà un peu œuvre de justice.

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L’affaire sur le plan judiciaire

Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Marseille pour le chef « d’agression sexuelle aggravée », après le signalement effectué par Mgr Jean-Philippe Nault, actuel évêque de Nice (et ancien évêque de Digne), le 24 octobre 2022.

Mgr Nault a été mis au courant des faits par les parents de la victime dès février 2022. L’évêque explique avoir réalisé un signalement à la justice seulement fin octobre dernier, quand il a pris connaissance – plus tardivement – de la minorité de la victime au moment des faits.

Selon le communiqué du parquet, le cardinal Jean-Pierre Ricard, 78 ans, admet, à ce stade, avoir « embrassé » il y a quarante ans une jeune fille « de 14 ans », dont il a plus tard célébré le mariage religieux.

(1) Mgr Nault a été prévenu par un courrier des parents de la victime lorsqu’il était évêque de Digne, en tant qu’évêque du lieu de résidence de Jean-Pierre Ricard.